La villa Mascotte
Quel délice de flâner dans les allées ronçoises en ce début de juin. Aucune âme qui vive, on se sent bercé par le chant des oiseaux. Soudain, venant de nulle part, surgit un promeneur qui vous interpelle et vous invite à rencontrer une inconnue qui va vous faire remonter le temps. Le hasard arrête nos pas devant la Mascotte. Cette villa ainsi baptisée depuis l’origine est habitée par Monique, sa propriétaire, qui veut bien la faire revivre pour notre plus grand plaisir en nous racontant l’histoire de la famille Crombez, commerçante à Ronce.
La villa Mascotte est construite à droite sur le chemin qui menait à la Louisiane
La construction de la villa Mascotte date probablement des années 30. C'est une parmi les plus anciennes de l'allée Gabrielle. Elle se situe à une encablure de la Louisiane. Ses fondations ne sont pas d’une grande stabilité car elle a été construite sur le sable. Dans le sous-sol se trouvent un garage et une cuisine, les chambres étant à l’étage, le tout sur un agréable terrain d’environ 300 mètres carrés. Des commodités ont été rajoutées sur le coté au cours du temps.
La villa a d’abord été la propriété de Madame Reaud. Il y aurait eu un autre propriétaire avant que la famille Crombez s’en porte acquéreur au début des années 60 alors qu’elle tenait encore son épicerie.
Les Crombez s’implantent à Ronce. L’épicerie.
En effet, au début des années 40, Denise et son mari électricien Gaston Crombez quittent Roubaix pour rejoindre Ronce. Ils achètent à Monsieur et Madame Gaudit l’épicerie située dans la dernière case de l’ensemble commercial créé par Camille Daniel donnant sur l’allée Gabrielle. Ils appellent cette épicerie « Aux Gourmandises de l’Océan ».
Les Crombez, et d'autres figures de Ronce, les Deola, Colette Jagou et Marcelle Rully se retrouvent souvent à La Chaumière où Denise adore danser.
Un petit bar, baptisé par ses habitués « le mal assis » voit le jour derrière l’épicerie. Après quelques années l’établissement est mis en gérance. Les Crombez tiennent alors un commerce à Eymet en Dordogne. Quand ils retrouvent Ronce, ils réhabilitent leur affaire en laissant tomber progressivement l’épicerie au profit du bar qu'ils tiennent jusqu’au début des années 70. Ensuite, le nouveau propriétaire, Monsieur Archambeau, le nomme le petit Ronce. (voir l’article « les grandes heures du petit Ronce »)
Monique découvre Ronce
Pendant l’occupation, la gestion des bons de rationnement augmente substantiellement le travail de l’épicerie. C’est la raison pour laquelle Denise sollicite l’aide de Céleste (Marie), sa belle-sœur, et de Monique, sa nièce, elles aussi originaires du Nord.
Monique, qui a alors 13 ans se souvient que les journées commençent dès potron-minet avec la livraison du lait et la préparation des commandes. Elle garde en mémoire la pause de 2 heures que lui octroie sa tante. Ce laps de temps lui permet de rejoindre une bande d'amis qui loge dans la villa Maumusson où séjourne la famille Daum, entrepreneur en ferronnerie. Elle garde un souvenir précis du lieu de rendez-vous près d'un puits qui existe toujours et de l'accueil de la maitresse des lieux.
Le bar étroit est fréquenté par des clients hauts en couleur dont Pipitte et le Marquis sont les personnages les plus emblématiques. Un témoin digne de foi de ces années 60 relate une tournée des « grands ducs » dans les bars. Son point de départ est le bar de Gaston puis celui de La Poste et du Grand Chalet. Il se continue chez Goulé, « Au clair de lune », et à la Frégate pour s’achever à la Vielle Auberge et au Petit Navire. Le fils de Pipitte rend de grands services à Ronce car il est le seul à livrer les bouteilles de gaz qui prennent place dans une remorque de sa conception accrochée à son vélo. Monique garde de bons souvenirs du Marquis, ostréiculteur et pécheur. Ce dernier l’invite quelquefois à pêcher car il a constaté que lorsque elle est présente la pêche est "miraculeuse".
La vie de Monique n’est pas un long fleuve tranquille.
Après ses séjours ronçois Monique retrouve le Nord et sa ville natale Saint-Amand-les-eaux où son père tient un commerce d’électricité. La famille paternelle est bien implantée dans cette station thermale déjà très prisée à l’époque romaine. C’est dans cette cité que son grand-père pharmacien a mis au point des traitements dépuratifs et le pipi cure. Quant à son grand-père maternel il est tombé au champ d’honneur en 1915.
Ses parents Jean-Baptiste Cattet et Marie Crombez, tous deux originaires de cette petite ville, s’y sont mariés en novembre 1923. Leur fille Monique a vu le jour en 1930 et y a reçu une éducation chrétienne. Saint-Amand-les-eaux s’est fait connaitre à la France entière quand en 1962 elle parvient en finale de la première édition d’intervilles contre Dax. Cette année il n’y eut pas de retransmission du Tour de France et cette émission, inspirée d’un jeu italien, créée par Guy Lux est venue combler la frustation des amoureux de la petite reine.
Un cruel destin attend la famille à la fin de la guerre : une bombe tombe sur le commerce familial, larguée par un aviateur anglais qui effectuait sa dernière sortie. C’est la seule maison détruite. La famille est ruinée. A 17 ans Monique se marie avec Roland Guérin de 14 ans son aîné. Neuf mois plus tard, Sylvie vient au monde. Le couple s’installe à Paris que Monique découvre avec émerveillement, subjuguée par les grands magasins. Au bout de cinq ans ils se séparent.
Après son divorce elle revient vivre dans le Nord et pendant quelque-temps sa vie n’est pas rose. "J’avais peu d’argent, dit-elle, sur les 15000 francs gagnés mensuellement il fallait en sortir 9000 pour le loyer. Aussi la cuisse de lapin-frites que je m’offrais en extra le premier dimanche du mois à 1,10 francs avait une saveur toute particulière"
Mais Monique n’est pas une femme à se laisser abattre, les coups du sort la rendent plus forte. Aussi, en 1954 quand les américains rejoignent des bases militaires françaises elle est embauchée par l'entreprise de lessive TIDE. D’abord elle fait du porte à porte, puis devient rapidement chef de service et inspectrice adjointe. Elle reste 15 ans dans cette société. Elle travaille également pour la commercialisation d'une marque de chocolat et pour le savon Cadum. Elle pose aussi pour des photos publicitaires et fait un peu de mannequinat. C’est effectivement une très belle femme qui ressemble à s’y méprendre à Ingrid Bergman.
Pendant ces années, la mère de Monique vient s’installer à Cambrai où elle tient un commerce de confection pour dames.
Monique reste seule pendant 15 ans « les plus belles années de ma vie à sillonner la France confesse-t-elle », puis elle se remarie avec un professeur de sport et international de hockey sur gazon, Jean Seguy.. Ce dernier a participé aux Jeux olympiques de Rome en 1960. Ils vivent à Lyon et prennent en 1989 la Mascotte en viager à Denise et Gaston.
Triste décennie : Gaston décède en 1990 , Denise en 1991, 8 mois plus tard et Jean en 1998.
Retour à Ronce
Monique vient à son tour habiter cette maison. A 88 ans elle conduit toujours sa voiture 407 Peugeot gris métallisée qu'elle possède depuis 15 ans. Elle vit paisiblement entourée de chats, de petits oiseaux, et de ses amis. Elle peut compter également sur David Pouponnaud à l'origine de notre rencontre. Ce peintre et poète de la presqu’île d’Arvert, dont les sculptures embellissent La Tremblade, réside 35, allée des écureuils à Ronce pas loin de la villa Mascotte.
Quant au Petit Ronce, en mars 2017 il a été repris par Romain et Florence, la gérante, qui ne connaissaient de Ronce que son feu d’artifice et sa grande roue vus de l’île d’Oléron. A la recherche d'un commerce ils ont eu le coup de foudre pour l’emplacement et la station balnéaire. L’affaire a été conclue en deux heures et les nouveaux acquéreurs ne regrettent pas leur choix. Ils l'ont appelé Le Little Ronce pour lui donner une touche british et plus moderne. Leur ambition est de continuer à cultiver la convivialité qui ne s'est jamais démentie depuis la création du bar chez Gaston.
Daniel Chaduteau