Christian : l’agent immobilier qui monte au filet.
De nombreuses agences immobilières ont vu le jour à Ronce dans les années, cinquante- soixante. Pour mémoire citons l’Agence Amie, avenue de l’océan, l’Agence Berger allée des chênes verts, l’Agence Chagnoleau, l’ Immobilière Atlantique et Select Agence toutes les trois avenue de Beaupréau. La plupart d’entre elles ont à ce jour disparu. La plus ancienne est assurément l’Agence Jagou avenue Gabrielle. Une autre agence occupe l’emplacement de l’ Agence Jagou mais la notoriété de cette dernière était telle que nombreux sont encore ceux qui continuent à l’appeler comme avant.
Villa Les Acacias..A droite, l'épicerie au début du siècle dernier
Un véritable coup de foudre pour Ronce.
Monsieur Jagou, médecin à Tonneins en Lot et Garonne vient passer ses vacances à Ronce avec son épouse et ses enfants. Ils tombent sous le charme de la toute nouvelle station balnéaire et font construire en 1890 la maison Les Acacias toujours visible dont la façade donne sur l’allée Gabrielle. Plus tard l’année 1908 voit l’édification d’une annexe qui agrandit la villa qui longe également l’allée 7. Toutes les allées en effet qui partent de l’avenue Gabrielle pour rejoindre la mer portent un numéro impair. Celles en revanche qui commencent de la même avenue pour rallier vers l’est l’avenue de Beaupréau portent un numéro pair. Les premières actuellement ont pris majoritairement des noms d’oiseaux ; l’allée 7 est devenue par exemple l’allée des goélands. Les autres sont désignées par des noms de fleurs ou de plantes.
L'agence fondée par Léon Jagou en 1921. A droite Léon Jagou.
Une famille qui ne se laisse pas abattre.
Mais le malheur vient durement éprouver cette famille. Le docteur Jagou meurt prématurément. Son épouse se retrouve bien seule à Tonneins pour élever ses trois enfants. Aussi décide-elle de venir habiter Ronce avec sa progéniture et comme il faut bien vivre, elle crée une épicerie dans la partie droite de sa villa. Arrive la première guerre mondiale. Son fils Léon, y est gravement blessé. Lourdement handicapé (il a perdu une jambe) il abandonne l’épicerie, la transforme en agence immobilière et en cabinet d’assurances en 1921 en lui donnant son nom et son prénom et la dirige jusqu’à sa mort survenue en 1933. Toujours tiré à quatre épingles, il devient très vite une figure locale.
La troupe des Rigolards. Au centre Jean Roy en comique troupier
A sa droite Léon Jagou, fumant la pipe.
La pipe au bec, un léger embonpoint, des cheveux d’ébène et surtout de splendides bacchantes le rendent facilement reconnaissable d’autant plus qu’il est un des acteurs de l’animation ronçoise des années 20. C’est ainsi qu’il est membre de la fameuse troupe des Rigolards qui se produit au théâtre de verdure de la Chaumière.
Marcelle Rully devant l'agence dans les années 30. Au fond, les fameuses chaises longues.
Tel frère, telle sœur.
Sa sœur Colette Jagou et une de ses amies Marcelle Rully avec qui elle s’est associée prennent la suite et vont plusieurs décennies durant, faire croître la réputation de l’agence. Pour atteindre leur but, elles n’hésitent pas à utiliser une publicité agressive pour l’époque : de grands panneaux d’affichage qui fleurissent aux entrées de Ronce. De plus celles qu’on appelle déjà les Sœurs Jagou ne répugnent pas avant guerre, d’attendre les clients, dans des chaises longues installées au soleil sur la terrasse. Quant aux musiciens des différentes fanfares qui, venant de la place Brochard remontent l’avenue Gabrielle jusqu’au Grand Chalet, ils n’oublient jamais de s’arrêter face à l’agence sachant que les demoiselles de Ronce précédant en cela celles de Rochefort ne vont pas lésiner sur les bouteilles de mousseux qui leur seront servies pour étancher leur soif. C’est dire qu’on retrouve ces deux femmes dans bon nombre de projets très divers, que leur dynamisme force l’admiration et qu’elles deviennent, elles aussi, à l’instar de Léon des personnalités marquantes de la presqu’île d’Arvert.
Du changement dans l’agence.
Après guerre, l’agence connaît une véritable révolution. Ces dames de la côte qui ignorent la signification du mot parité se voient contraintes pour des raisons d’expansion économiques d’engager en quelque sorte un jeune loup dans la bergerie en ce début d’année 1963. Dieu merci, l’employé n’est pas un inconnu. Son grand père, pharmacien Place du Temple à La Tremblade, a en son temps fait parler de lui. Alors qu’il conduit dans les années 20 une voiture électrique, il percute une vache. Sans trop de dommages, il repart à la grande stupéfaction des témoins car ceux-ci ignorent que le moteur se trouve à l’arrière. Il est aussi propriétaire de plusieurs villas de la fameuse allée 7 : Le grand gosse, Le petit gosse et Le loupiot. La première change de nom quand, dans les années 90, le prêtre Armand Carré s’en porte acquéreur. Il l’appelle Ictys en hommage à Jésus. Іχθυς en grec ancien signifie poisson, symbole des premiers chrétiens parce que ses cinq lettres sont les initiales des mots suivants : Jésus-Christ fils du dieu sauveur. Le prêtre, parti en Angleterre, a vendu la maison repérable aujourd’hui par les fresques du mur de clôture.
Mais revenons à notre jeune loup, Christian Roy, pour ne pas le nommer, qui ne va pas évoluer dans un univers si impitoyable que cela car s’il est vrai qu’il est le seul et cinquième élément dans un bureau où règnent en maître plusieurs femmes, elles sont depuis longtemps des amies de sa famille ; tant et si bien que lorsque Mademoiselle Colette Jagou décède en novembre 1975, il s’associe à son tour avec Marcelle Rully et devient pleinement responsable de l’agence à sa mort en 1994. En 1998, il cède l’agence à Monsieur et Madame Pinchot.
Dans les semaines qui viennent, il est plus que probable de voir renaître Avenue Gabrielle le nom de la plus vieille Agence ronçoise.
Le tennis privé du Grand - Chalet
Une paire d’authentiques sportifs.
Quel trait d’union peut-il y avoir entre une agence immobilière et les tennis de Ronce ? A priori aucun. Cependant le chaînon manquant n’est autre que Christian Roy qui passe une retraite heureuse avec son épouse Odette dans sa villa Pomone. Jean, son père, a commencé à jouer au tennis avec Monsieur Bodit de Cognac sur la place Brochard. Au bout de la place, la terre est tassée mais ne ressemble en aucun cas à un court en terre battue ; les trous et les cailloux favorisent les faux rebonds ; les lignes tracées par les apprentis joueurs n’ont rien de réglementaire ; le filet est rudimentaire ; le grillage n’existe pas si bien que les joueurs doivent récupérer les balles dans la mer ou dans la villa voisine l’Ermitage. Plus tard Jean ira jouer sur le court privé du Grand Chalet. Il transmet à son fils la passion pour ce sport, passion qui va pouvoir s’épanouir avant guerre grâce à la construction de deux courts en terre battue sur un terrain appartenant à Monsieur Proust à l’emplacement actuel de la Résidence des Algues.
Christian participe à son premier tournoi à l’âge de douze ans. Au lycée Grand Lebrun de Bordeaux, le hasard ou un signe du destin le fait côtoyer les frères Jauffret. Avec fierté il avoue qu’il était 200ème joueur français mais ajoute tout de suite qu’à cette époque peu de joueurs étaient classés ce qui n’empêche pas le jeune homme de participer au tournoi de Rolland Garros en 1949 à seize ans en simple et d’atteindre les quarts de finale en double.
Années 60.Tennis municipaux. Deux tennismen accomplis: de dos Christian Roy au fond son père Jean
Un endroit où il fait bon vivre
Au début des années 50, Ronce s’agrandit sensiblement. Jusqu’en 1965 les sportifs se donnent rendez-vous aux tennis. Certes les conditions d’accueil n’ont rien d’un palais princier, elles sont même spartiates. Un baraquement fait office de vestiaires et de buvette. Un jet d’eau sert à arroser les courts mais les douches sont aux abonnés absentes.
On oublie trop maintenant que ce ne sont pas les structures mais les hommes qui créent la convivialité. Parmi eux deux experts, le père Frahier, gardien des tennis mais dont le nom est inséparable du barbecue qu’il allume matin et soir et qui fait frissonner d’aise les narines des plus anorexiques. Le commis de son fils, propriétaire du restaurant Le petit navire, vient dès qu’il le peut lui livrer viandes et poissons prêts à être grillés. Monsieur d’Auzac qui n’a pas cédé à la mode du short mais continue à porter un élégant pantalon blanc cassé est lui aussi un bénévole très actif. Après la plage, dans ce lieu de rencontre, on se retrouve en famille ou entre amis pour faire une partie de boules dans les allées au fond des courts.
Le tournoi du mois d’août.
Le point d’orgue de la saison, c’est le grand tournoi du TCR qui se déroule la deuxième ou troisième semaine d’août et dont les finales ont lieu aux alentours de l’Assomption. Non homologué par la FFT, il est ouvert à tous. Si les classes d’âge n’existent pas, on tient compte néanmoins des classements. Les courts sont bien-sûr réservés pendant toute sa durée. C’est pour gagner la coupe que les gens s’inscrivent car les primes n’ont pas cours sur les courts de Ronce. Pour ce faire, les bénévoles ont fait le tour des commerçants de Ronce et de La Tremblade pour glaner lots en nature et bons d’achat. Christian reçoit ainsi en cadeau sur une seule année pas moins de huit bouteilles de…vinaigre offertes par les sociétés Fuchs et Conte, bouteilles qu’il réussit à échanger en partie contre d’autres remplies d’un liquide moins amer distillé différemment
Les 3 mousquetaires, M. Laruelle, C. Roy,J.P Penquer'ch et P Archat.
Un spectacle très couru.
Dans le tableau se croisent estivants, autochtones et quelques habitués de la côte de Beauté. Au fil des ans tout le monde se connaît ce qui, à la fois, exacerbe les rivalités et renforce les liens d’amitié. Les jours de finales, le pourtour des tennis est noir de monde. La finale du double messieurs attire un large public car elle donne lieu à des joutes homériques dignes de celles des Atrides surtout quand Christian Roy et son père Jean affronte les adversaires héréditaires de la villa Ave Maria les Berton de Quimper, les Tallieu de La Tremblade ou les Tessier pour ne citer qu’eux. Parfois la partie reste encore indécise entre chien et loup. Le pauvre arbitre bénévole en entend des vertes et des pas mûres. Les clameurs d’une foule en délire retentissent dans tout Ronce et couvrent la sonorisation poussive du petit cirque en plein air qui s’est installé non loin sur la Place desl écoles. Les nerfs des joueurs sont mis à rude épreuve mais quand le match s’achève, la tension retombe vite. Chacun se congratule, va trinquer avec la paire d’amis retrouvée, et rejoint sa villa où une douche réparatrice l’attend. La remise des prix se tient traditionnellement à la Chaumière.
Christian garde en mémoire la blague imaginée par un de ses amis Pierre Wiehn qui lui offre comme récompense une œuvre d’art en fer forgé représentant des arêtes de poisson pour souligner la bonne humeur proverbiale du compétiteur qui avoue avec franchise détester perdre sur un court. A ce sujet voici ce que relate un journal local d’août 1959 : « Le double messieurs était le point d’interrogation de ce tournoi. Roy père et fils allaient-ils remporter un titre à Ronce, leur classe indéniable n’allait-elle pas être desservie par l’humeur et la nervosité de cet excellent joueur qu’est Christian Roy ? Non. Celui-ci restant calme et pondéré, plaçant des balles admirables et croisées, smashant à tour de bras sur les lobs un peu courts de Monsieur Tessier permettait à l’entente familiale de vaincre la paire Berton- Tessier. »
Mr Henri Paris devant le court qui porte son nom.
Un club en pleine forme.
Après 1965 les tennis ont migré à l’entrée de Ronce. Madame Lavergne préside maintenant à la destinée d’un club qui comporte douze courts dont trois couverts mis à la disposition de 200 licenciés et des 260 adhérents. Six clubs de jeunes, un de Bretagne et les autres de la région parisienne viennent y suivre un stage pendant les vacances de Pâques. Monsieur Henri Paris, ancien marin pêcheur de la Tremblade qui a la charge de trésorier et qui assure également l’accueil a pris la succession de Monsieur Tallieu et de Madame Blois.
Si l’envie vous dit d’aller échanger quelques balles, ne soyez pas surpris d’entendre les cris de rage ou de bonheur de Christian pour qui la passion tennistique ne s’est jamais démentie. Il continue chaque semaine à vouloir envoyer ses adversaires au tapis sans se départir de son éternel sourire.
Daniel Chaduteau. 15 Janvier 2010.