Les grandes heures du Petit Ronce.
Les personnes, qui au début des années soixante dix, arrivaient à la fameuse patte d’oie de l’entrée de Ronce, pouvaient lire ce message lapidaire mais ô combien explicite : « M’approcher, c’est m’adopter. » Nombreux sont ceux qui, bien avant de connaître ce slogan, ont été envoûtés par la quiétude, la beauté, la douceur de vivre, l’ambiance familiale bref le charme suranné qui rend cette station un peu intemporelle. Telle cette femme, prénommée Audine, qui, dans une carte postée le 27 juillet 1905, écrit à son amie cognaçaise Cécile le texte suivant : « Je t’assure que Ronce est une station très agréable où la vie est bien tranquille. Il y a quatre vingt treize chalets construits dans un bois de pins magnifique et une plage qui surpasse de beaucoup celle de Royan. »
Qu’elles s’aventurassent à gauche ou à droite de ladite patte, ces personnes tombaient inévitablement, comme aujourd’hui d’ailleurs, sur l’artère principale longue d’un kilomètre, l’avenue Gabrielle, qui porte le nom d’un chalet construit à la fin du XIXème siècle. Son propriétaire Monsieur Favier, pour rendre hommage à son épouse Gabrielle Belle, l’avait nommé ainsi.
La Villa Gabrielle qui a donné son nom à l'avenue commerçante principale de Ronce
Cette avenue a, dès sa création, joué le rôle d’un pôle dynamique où se sont concentrés les commerces.
Parmi eux, un, fait partie de la mémoire collective de ceux qui ont séjourné à Ronce, il y a près de quarante ans : Le Petit Ronce.
Ronce se réveille.
Dans les années 20, sous l’impulsion de Camille Daniel qui a épousé la fille de Monsieur et Madame Favier, Ronce change progressivement de visage. Ce visionnaire, en quelques années, va relier Ronce à l’île d’Oléron en faisant construire un appontement, égayer la vie de la presqu’île en créant le restaurant, dancing, cinéma La Chaumière, accroître la population en traçant avec Joseph Dières Monplaisir les plans d’un vaste lotissement, créer un syndicat d’initiative place Brochard pour promouvoir la station et, à la jonction de l’avenue Gabrielle et de l’avenue de la Chaumière, édifier tout un ensemble en béton qui a la forme d’une demie rotonde.
Années 20. Les cases en demi-cercle conçues par Camille Daniel
En face du groupement commercial, le syndicat d'initiative, emplacement actuel de l'office du tourisme
Celle-ci comprend une quinzaine de cases de trois ou quatre mètres de large appelées de différentes façons : les nouveaux magasins, groupement commercial ou groupement des commerçants de Ronce-les-Bains.
Les cases de nos jours occupées dans la partie centrale par le bar Le Bordeaux
Les cases centrales par exemple, occupées actuellement par le bar Le Bordeaux, abritaient avant guerre l’établissement du fameux pâtissier glacier Monsieur Fantoulier.
Années 30. Deux magasins: la pâtisserie Fantoulier et les Bijoux de Paris au premier plan
Les deux qui retiennent l’attention en ce début des années soixante dix sont situées le plus à droite : une poissonnerie tenue par Raymonde Bertin célèbre pour sa soupe de poissons et une épicerie bar qu’occupent Denise et Gaston Crombez Le Mal Assis appelée de la sorte en raison de l’exiguïté de la salle.
Madame Crombez devant son épicerie bar
Monsieur Michel Archambeau et sa femme Hélène se portent acquéreurs de cette case en 1973 et la baptisent Le Petit Ronce.
Bienvenue chez les Ch’tits.
Michel, né à Arvert dans une famille d’ostréiculteurs, travaille tout d’abord comme saisonnier. Adolescent de seize ans il aurait pu d’une façon prémonitoire écrire les paroles de la chanson de Chuck Berry Sweet Little Sixteen tant il est subjugué par le charme d’une jeune postière de La Tremblade du même âge que lui, la Belle Hélène. Ayant atteint leur majorité, ils convolent en justes noces et rejoignent Lille pour y ouvrir un restaurant, l’un s’occupant de la préparation de magnifiques plateaux de fruits de mer livrés chaque jour de Rungis, l’autre du service et de la comptabilité. Michel, qui, comme fournisseur d’ huitres, a connu le patron marseillais du célèbre restaurant parisien place Clichy Le Charlot premier, obtient son accord pour reprendre l’appellation de son établissement qu’il nomme pour le différencier Le Charlot deux. A noter que Le Charlot premier « Le roi des coquillages » existe toujours au même emplacement et qu’il est le seul restaurant de Paris accrédité par les restaurateurs marseillais signataires de la Charte de la bouillabaisse.
Retour au pays.
Mais Lille est bien loin de La Tremblade et à l’instar du héros grec Ulysse, ils ont le mal du pays et hâte, comme le dit le poète, de retourner vivre entre leurs parents le reste de leur âge et plus prosaïquement retrouver le climat, leurs amis et les plages de la presqu’île d’Arvert. Aussi, après avoir passé quinze années dans le Nord prononcé à la façon de Michel Galabru dans Bienvenue chez les Ch’tis, c’est avec une joie non dissimulée qu’ils achètent ce local de l’avenue Gabrielle.
Avenue Gabrielle avant guerre. Le Petit Ronce va occuper la dernière case à gauche en face de l'automobile
Une cuisine va remplacer l’épicerie à l’arrière. Quant au bar donnant sur la rue, ils l’agrandissent substantiellement en cassant le mur mitoyen du commerce que leur a cédé Raymonde Bertin. Celle-ci a migré et tient désormais un banc sur le marché de Ronce. Parallèlement pour parfaire leur changement de vie et lui donner une autre dimension, ils ont engagé une procédure d’adoption. Comme un bonheur ne vient jamais seul, l’aventure commerciale se double d’une aventure humaine quand, après trois longues années d’attente, ils accueillent dans leur foyer un petit garçon de six mois originaire d’Amérique du Sud qu’ils prénomment Manuel.
Un snack-bar attractif et accueillant.
Un de leurs amis, Jacques Laigle, professeur d’arts plastiques à Royan, conçoit une publicité un tantinet psychédélique très en vogue à l’époque, qui se dresse sur un panneau à l’entrée de Ronce.
Il va également dessiner une très originale cheminée barbecue dans laquelle Michel fait des grillades au feu de bois qu’on aperçoit de la rue et qui, le soir, ajoute un air de fête comme si les consommateurs installés sous la tonnelle prenaient du plaisir à participer à une espèce de feu de camp. C’est son voisin, le boucher Pierre Lécuroux, qui lui assure l’approvisionnement. Hélène la blonde et occasionnellement, Christiane l’épouse de Jacques la brune, servent la clientèle au bar en fer à cheval ou en terrasse. Dans la salle en longueur, Michel et Hélène disposent chaises et tables basses. Au mur vert amande, est accrochée une autre œuvre réalisée par Jacques, une sculpture en tôle martelée représentant un coq de bruyère. Tous ces éléments, sans oublier l’ajout des tubes immortels de la musique des seventies qui font vibrer jusqu’à une heure du matin les couche-tard, recréent l’ambiance d’un pub d’Outre- Manche.
Le succès est au rendez-vous, mais le couple ne s’endort pas sur ses lauriers. Alors il investit et achète un four à grandes pizzas. Michel, véritable factotum, fait office de pizzaïolo. Le petit Ronce a acquis ses lettres de noblesse et devient l’endroit où l’on passe une bonne soirée sans casser sa tirelire. Les joueurs du rugby club de La Tremblade ne se trompent pas d’adresse et rallient leur lieu de prédilection pour d’homériques troisièmes mi-temps. Certains vont même jusqu’à aider le patron à confectionner des pizzas en leur donnant des formes qui, disons- le, sont pour le moins insolites.
Même Roger Lanzac, l’ancien présentateur télé de l’émission culte La piste aux étoiles et de la célébrissime émission radiophonique Le jeu des 1000 francs qui a survécu jusqu’à ce jour en euros, a honoré de sa présence Le Petit Ronce. Devenu propriétaire d’un cirque qui a dressé son chapiteau à La Tremblade, il a consommé comme un client ordinaire et ne s’est pas fait prier pour faire une dédicace que Michel et Hélène conservent précieusement.
Pendant les deux mois de l’été 1975, Christine, une jeune femme de trente ans assure l’animation sur la terrasse. Elle fabrique des impressions de prénoms au choix, collées sur des tee-shirts grâce un fer à repasser branché dans le bar. Cette confection artisanale peut prêter à sourire aujourd’hui avec tous les matériels de reproduction dont on dispose, mais il y a trente cinq ans le public était épaté par cette attraction balbutiante.
Le petit Ronce dans les années 70
Les souvenirs d’un client fidèle.
Un des habitués du lieu, Philippe, après avoir passé toutes ses vacances à Ronce, n’a pas pu quitter la presqu’île et s’est établi à Breuillet. Il ne tarit pas d’éloges sur l’établissement : «Le Petit Ronce était le lieu privilégié où il faisait bon vivre. S’y retrouvaient après une dure journée passée à la plage, estivants, ronçois et trembladais pour prendre un pot. A la fin du mois d’août, était organisée avenue Gabrielle une grande braderie toute la matinée. Un ami et moi avions décidé de faire une blague au patron. Comme nous ne manquions pas de bagou, nous avons convaincu quelques personnes que les tables de la terrasse du bar étaient à céder et que le propriétaire serait présent en début de soirée pour la vente. Le soir venu, Michel tombant des nues a eu beaucoup de mal à persuader ces personnes crédules qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Mais le souvenir le plus marquant, ajoute-t-il, c’est sans nulle doute la célébration du sacrement de baptême de Manuel, âgé d’un an seulement, dans la Chapelle Saint-Joseph de Ronce. Cette cérémonie était présidée par le curé de La Tremblade le père Michel Jarrot ancien missionnaire en Afrique où d’ailleurs il retournera. On a tous vécu et surtout Michel et Hélène des instants d’intense et d’indicible émotion. ». A l’issue de la célébration, Philippe n’a pas oublié non plus la savoureuse langouste cuite au feu de bois ; il en a encore l’eau à la bouche.
Le Camacho nouveau prend le relais.
Ainsi jusqu’en 1984 pendant onze saisons, Michel et Hélène ont exercé leur activité. Est-ce la nostalgie ou l’opportunité qui, une trentaine d’années après leur première acquisition, leur a fait racheter le même bar pour leur fils Manuel ? Le jeune homme, sportif accompli, pratique la boxe américaine pendant une dizaine d’années. Pour rappeler ses racines sud-américaines, Manuel baptise le bar, Le Camacho, empruntant le nom d’un célèbre boxeur portoricain qui, dans les années 8O, a remporté 79 victoires sur 86 combats et a été champion du monde dans trois catégories différentes. L’établissement, refait à neuf après les dégâts occasionnés par la tempête de février dernier, a une capacité de quarante couverts. La musique et la décoration (le portrait du Che en train de fumer un énorme havane trône dans le bar) sont bien évidemment latino-américaines et la clientèle dispose d’un grand choix de cocktails et de tapas. Manuel et Michel vous accueillent l’un principalement en soirée, l’autre en matinée.
Michel et Hélène Archambeau devant le nouveau snack-bar Le Camacho
Si vous venez acheter votre quotidien dans la maison de la presse voisine, ne soyez pas surpris d’être salué par un homme affable et élancé à la belle chevelure blanche, c’est lui. Adjoint au nautisme et à l’ostréiculture pendant les deux premiers mandats du maire de La Tremblade Monsieur Jean-Pierre Tallieu, Michel forme depuis plus de cinquante ans avec Hélène un sacré tandem de ceux dont on dit qu’ils font aimer la vie.
La renaissance du petit Ronce.
C'est en 2012 que la famille Archambaud a vendu son affaire à un couple de quadragénaires. Après avoir tenu pendant quinze ans un bar à huîtres itinérant à Lyon dans le quartier de La Croix rousse, Alban et Chantal ont émis le voeu de se poser. A l'instar de leurs prédécesseurs, quoi de plus naturel que de retrouver ses racines! Alban Chevalier est en effet issu d'une famille d'ostréiculteurs, de marins pêcheurs. Il a passé une partie de son enfance à Ronce, allée des Dunes à la villa Dany rebaptisée Pélagie aujourd'hui. Chantal, originaire de Marennes, est, elle aussi, fille d'ostréiculteurs. Son arrière grand-mère était native de La Tremblade.
Ils ont ouvert leur nouvel établissement le 16 mars 2012 et ont obtenu des anciens propriétaires l'autorisation de reprendre son ancien nom et son ancienne publicité légèrement relookée.
Le petit Ronce en 2012. A gauche, Chantal et Alban, les nouveaux propriétaires
Le nouveau bistrot, bar à huîtres de l'avenue Gabrielle, Le petit Ronce, vous offre dans un cadre agréable un plat du jour jusqu'à la saison des moules en juin, en accompagnements des huîtres, crépinette au cognac et terrine de campagne au pineau, fruits de mer et poissons selon arrivage, bref des produits du marché. Un choix de crèpes et de vins au verre vous est également proposé. Le nouveau petit Ronce ne devrait pas tarder à renouer avec l'esprit et le dynamisme de l'ancien.
Daniel
Chaduteau.